Les Papillons

juil 2015 -
Si les mots avaient des ailes

par Christine D.

C’est l’été et les fenêtres de la classe sont grandes ouvertes sur la cour. C’est le jour du contrôle de calcul. Les élèves sont penchés sur leur copie et l’institutrice est absorbée par un roman.
Au fond de la classe Pedro s’applique mais les chiffres s’embrouillent devant lui, il ne sait plus combien font sept fois quatre vingt trois. Lui, il préfère les mots, inventer des histoires. Au moment où il va poser sa retenue un joli papillon se pose au bord de sa table. Alors les yeux de Pedro quittent sa multiplication et se perdent dans les couleurs du papillon.
Le papillon reprend son vol, virevolte d’un coin à l’autre de la pièce, dessine de jolies arabesques au-dessus de la tête de ses camarades. Pedro le suit des yeux, lui aussi s’envole.
Comme s’il déposait des baisers il butine les fleurs que Pauline a mises dans ses cheveux ce matin pour la photo. Pedro est secrètement amoureux de Pauline, il n’ose pas le lui dire, alors en classe il la regarde souvent.
Soudain la porte de la classe s’ouvre et la directrice, accompagnée d’un homme souriant, s’avance vers le bureau de la maîtresse. « C’est pour la photo », dit-elle en regardant sévèrement l’institutrice prise en faute le roman à la main.
Les enfants se regroupent sous l’autorité du photographe mais au moment de déclencher son appareil, il aperçoit Pedro. « Et toi mon garçon, tu ne viens pas avec tes camarades ? ». Ramené brusquement à la réalité Pedro n’entend pas les rires moqueurs des autres écoliers.
Le papillon aux ailes bleues tourne autour de son cou et se pose avec grâce, sur sa chemise blanche en un magnifique nœud papillon.
Clic clac la photo est prise ! Pedro est fier, cette année il est sur la photo de classe et sa mère pourra l’envoyer à cette grand-mère qu’il aimerait tant connaître.

Soudain le photographe se précipite dehors : « Oh non arrêtez ! », s’écrit-il.
Un papillon vert s’est glissé sous l’essuie-glace de sa voiture garée devant l’école.

Pedro imagine déjà la belle écriture ronde de sa grand-mère avec les pleins et les déliés à l’encre bleue outremer, invitant toute la famille à venir passer les vacances chez elle en Colombie.
Et voilà Pedro parti dans les airs pour un tour du monde alors que la maîtresse rouge de colère tape sa règle sur son bureau.
Une violente douleur à l’oreille le ramène brusquement à la réalité. Pedro se sent soulever de sa chaise et ne sait comment il se retrouve au coin près de la porte. Comme le lui ordonne l’institutrice il récite ses tables de multiplication tout en frottant son oreille violacée. Pendant ce temps, ses camarades quittent la classe pour aller à la piscine. Aujourd’hui le maître-nageur a organisé une compétition, et Pedro avait toutes ses chances : il est le seul de la classe à savoir nager le crawl-papillon.
Penaud, il se promet de ne plus rêver, mais en passant près de lui, Pauline lui dépose furtivement un baiser sur la joue. Pedro rougit de plaisir et se replie un peu plus contre le mur pour cacher son émotion. Comme aimanté, son regard est attiré par un objet au sol, un écrou papillon en métal bleu. Alors Pedro s’envole de nouveau, pour un long voyage…

Christine D.

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