Archives du mois : avril 2019

Retour sur notre atelier : La poésie du tango

avr 2019 -
Si les mots avaient des ailes

Dimanche 31 mars 2019 comportait une heure en moins, en raison du « passage à l’heure d’été » mais cette journée n’en a pas moins été riche en musicalité. En effet le temps d’un après midi ce dimanche-là, Françoise Siri nous a accompagnés dans la découverte de la poésie du tango. Après une introduction permettant d’identifier les spécificités de la poésie contemporaines et les « ficelles » de l’édition, nous avons laissé venir les mots, les idées et les images portés par des tangos d’Osvaldo Pugliese et d’Astor Piazzola. Le temps de partager la lecture de nos poèmes et le stage était déjà terminé.

Mais afin de  prolonger ce partage ou pour ceux qui n’avaient pas participé au stage, il est possible et même… il faudrait lire « Traversée tango », recueil de poèmes de Françoise Siri  http://revue-texture.fr/traversee-tango.html
Et puis, embarquons avec les musiques de tango afin de découvrir les poèmes qui sommeillent secrètement en nous…

voir aussi notre article présentant cet atelier/rencontre ICI


voici quelques textes écrits pendant cet atelier :

La minute d’après

Tanguer, verser, renverser

la minute d’après chahute les sens
la veine bleue charrie son rouge sang

le cou emporté jette un dernier sort
la bouche fardée se ferme sur le cri du corps
le menton souverain se cache
les regards lumineux se lâchent
l’épaule amante s’enfuit
la mèche folle s’assagit

la main décousue délaisse son empreinte
la hanche endimanchée se réfugie dans son écrin
le buste soupirant retient son troublant mystère
la jambe dernière larme de chair fend l’air
la sueur perlante signe le pacte
la musique domptée s’éclipse avec tact

Tanguer, s’égarer, se redresser
bonheurs titubants

Vivants

Vivants

PLL

Tango, je te chéris :
Car tu mets dans tes notes,
Tous mes désirs enfouis,
Et cela dénote… et cela connote…

Patrice

 

Poésie de la pluie

le trottoir brille sous nos pas fatigués
contre ta hanche je m’appuie
les battements de mon cœur s’apaisent

AP

Oh les maux
A fleur de peau
Dis-moi Tango
La douleur des heures sombres
Quand dans la supplique des notes
Le bandonéon appelle les corps
Tous ces sons qui frappent la peau
Avant le peau à peau
L’envie de vivre et d’hurler
L’envie d’embraser et d’embrasser
Alors Tango
A fleur de peau
Laisse les corps se libérer et danser

Catherine

Danse hauturière

Le rideau s’ouvre sur trois notes
Amère cruelle rouge

Les amours ont largué leurs amarres
Elles sèchent leur sel le long des joues
Elles brûlent leurs épines au fond des gorges
Elles dérivent en haute mer au péril des grands creux

Entre deux tempêtes sous la main gauche
Le tango lent des violences de l’exil
Se drape au piano de grappes dissonantes
Se nappe aux violons d’unissons funèbres

Tout un peuple accoste écorché
Au bar du port et sort ses lames
La bande aux néons s’abandonne
Au son du sang chaud qui s‘écoule

D’un accord frappé
La plainte en point d’orgue
Au bal sans fin
Jamais ne s’éteint.

Denis

la boite à mots : avril 2019 (consigne)

avr 2019 -
Si les mots avaient des ailes

Voici les 3 mots de avril 2019 : rêver, fraternel, animation

Envoyez-nous votre texte, nous publierons ceux qui auront retenu notre attention * sur notre site dans la rubrique la boîte à mots, le jeu  (à retourner au plus tard 2 jours avant la fin du mois  à le-jeu@silesmotsavaientdesailes.fr ).

Pour chaque texte, n’oubliez pas de préciser en première ligne : le titre et le nom de l’auteur (ou pseudo). Merci!


*    voir les règles du jeu ici

LA BOITE A MOTS, LE JEU : MARS 2019

avr 2019 -
Si les mots avaient des ailes

Voici les 3 mots de mars 2019 : patienter, enfant, lune


voir les règles du jeu ici


Voici les textes que nous avons reçus :



 

La lune et l’enfant (Paulette Poujaud)

 

Lucile aimait regarder le ciel, la nuit, avec son grand-père féru d’astronomie, qui lui expliquait les constellations, les planètes.

L’enfant était peu à peu fascinée par ces histoires et elle savait qu’elle devait patienter jusqu’à la tombée du jour pour que son grand-père installe sa lunette astronomique dans le jardin.

Elle pouvait contempler la lune et les étoiles de plus près.

Un soir, son aïeul lui raconta que vingt ans avant qu’elle ne vint au monde, le 21 juillet 1969, deux hommes avaient marché sur la lune.

Cet événement incroyable étant retransmis partout sur la planète, toute la famille, alors en vacances loua pour la circonstance un poste de télévision.

Et tous, parents et enfants, même la maman de Lucile, alors âgée de six ans, veillèrent une grande partie de la nuit, pour ne rien manquer de ce spectacle.

Quand tous virent les images tremblotantes de l’astronaute descendre l’échelle et poser le pied sur notre satellite, ce fut un véritable conte de fée pour les adultes et les plus jeunes.

Le temps s’est écoulé depuis cet événement, mais il demeurera dans l’histoire comme le fait le plus marquant du XXème siècle.

Malgré cela, Lucile demandera encore longtemps à son grand-père « Pourquoi la lune continue-t-elle à me regarder avec ces grands yeux ? »

 

 


 

 

Les « espérouquères » dans le Béarn (Colette Kirk)

 

En cet automne 1946…

 

Le maïs venait d’être récolté et les épis étaient entassés par terre, en un long tas, au milieu de la grange. Après avoir déblayé tous les murs au ras du sol, on avait disposé des bancs de fortune (de grandes planches reposant sur deux billots à chaque bout) autour du tas d’épis tout en laissant un espace d’environ un mètre jusqu’aux murs. Au centre,  sur le tas on avait posé de gros paniers.

 

Vers vingt heures, les voisins commencent à arriver pour une longue soirée de travail en commun.

 

Car on a cette coutume dans le Béarn !

 

Après s’être salué et s’être enquis de la bonne santé de chacun, le maître de maison offre le verre de bienvenue et l’on prend place sur les bancs. Il y a déjà de l’ambiance, rires et bonne humeur, la soirée s’annonce joyeuse, il y aura du rendement !

 

Car on est convivial et besogneux dans le Béarn !

 

Certaines épouses, filles et belles-mères ont accompagné les hommes. Plus il y a de bras, plus vite la tâche sera accomplie. Pour le moment les femmes sont en cuisine afin de préparer les en-cas qui seront servis pendant la soirée. Les gourdes sont remplies de vin frais et le café prêt à passer.

 

Car on a le gosier sec dans le Béarn !

 

Quelques jeunes gens reluquent déjà en douce les candidates au mariage. Ils se connaissent bien, car ils ont été à l’école ensemble, mais devant les parents, ils sont un peu intimidés. Aurons-nous une noce l’an prochain et peut-être même plus vite qu’on le croit.  Les futurs n’ont pas toujours le temps de patienter.

 

Car on est un peu coquin dans le Béarn !

 

Une fois installé, chacun sort de sa poche son « espérouquette ».  C’est un simple morceau de bois épointé de la taille d’un gros crayon dont la longueur varie selon  la main qui s’en sert (pas plus de 10cm). Certaines sont patinées par des années d’utilisation. Le bout opposé à la pointe est percé pour recevoir un cordon que l’on passe au poignet afin de ne pas la perdre pendant le travail. Car autant chercher une aiguille dans un tas de foin ou……. dans un tas de maïs. Elle s’utilise quand l’épi de maïs est encore enfermé dans son enveloppe sèche « la péroque ». On perce celle-ci avec l’espérouquette par le haut, on la fend, puis on la rabat vers le pied de l’épi et d’un coup sec et net on sépare le tout. On lance l’épi dans le grand panier et la péroque par-dessus l’épaule entre le mur et le banc. Elle servira à confectionner des matelas pour les enfants qui font encore pipi au lit. Elle allume aussi très bien le feu.

 

Car on sait tirer parti de tout dans le Béarn !

 

Le travail ne se fait pas dans le silence. Les uns y vont d’une petite histoire ou anecdote arrivée à un ancêtre, un voisin, voire à soi-même et cela fait rire l’assemblée. D’autre racontent quelques blagues un peu égrillardes qui font rougir les demoiselles et pouffer les garçons. Même les grands-mères n’ont pas leur langue dans leur poche.

 

Car on aime bien les « gasconnades » dans le Béarn !

 

Pendant ce temps les gourdes de « Petit Rosé du Béarn » frais, circulent et chacun de boire à la « régalade », juste deux ou trois gorgées (pour s’éclaircir la voix). Justement, une belle voix de baryton entonne « Montagnes Pyrénées » repris en chœur par les ténors et sopranos, et tout le répertoire béarnais y passe.

 

Car on a de l’organe dans le Béarn !

 

Lorsque tout est dépouillé, les espérouquettes disparaissent dans les poches et sont remplacées par les « opinels » qui taillent de larges tranches de pain généreusement tartinées de pâté maison et de bons fromages de chèvres. De délicieuses tartes aux fruits de saisons, pommes et raisins, sont également bien appréciées. Et les gourdes passent et repassent pour faire « descendre ».

 

Car on a de l’appétit dans le Sud-Béarn !

 

Les filles et les garçons se sont réunis, assis sur le tas de « péroque ». Ça rigole bien, mais discrètement sous l’œil  sévère ou attendri des aïeules.

Puis l’heure de se séparer arrive, la lune est déjà haute dans le ciel et il faut reprendre des forces après cette longue journée et soirée de labeur. Mais le travail ne fait pas peur.

 

Car on a du courage dans le Béarn !

 

Les maîtres de maison remercient de l’aide apportée et après de franches poignées de mains et des « Adious » chacun regagne son logis.

 

Demain sera un autre jour avec leurs durs travaux des champs et… Ils se retrouveront, le soir, chez « Lou Henrio » et encore et encore dans les fermes voisines jusqu’à la fin des « Espérouquères »…

 

C’est qu’on a de l’entraide dans le « BEARN » !

 

 


 

 

Haïku (Corinne P.)

 

L’enfant patiente

Dans son rêve un ballon

Lune de l’aube

 

 

 


 

 

La fête nationale (Martine)

 

– Waouh ! La belle bleue ! Et la belle rouge, crient les enfants émerveillés en admirant, bouche bée, les fusées du feu d’artifice qui illuminent le ciel varois.

En ce 13 juillet, les festivités battent leur plein : le bal musette s’est installé sur la place Charles de Gaulle et égrène quelques notes entraînantes pour appâter les danseurs encore timorés, alors que la fête foraine harangue les badauds à l’aide de puissants haut-parleurs.

Un timide quartier de lune hésite à se mêler à la liesse générale et tamise la plage déserte alors que de nombreuses embarcations ont pris place, au large, depuis la fin d’après-midi. Il leur faudra patienter longtemps pour rentrer au port car cette fois-ci l’embouteillage ne sera pas sur la route reliant Cagnes-sur-Mer à Saint Laurent-du-Var mais bien sur la Méditerranée.

Le bouquet final s’achève et les pépites de lumière s’évanouissent dans les paisibles flots argentés. Les premiers spectateurs se lèvent. Est-ce qu’ils iront esquisser quelques pas de danse ou préfèreront-ils s’essaimer parmi les attractions foraines ?

C’est alors qu’une toute petite voix s’élève juste derrière moi :-

Dis ! Est-ce que je pourrai avoir une barbe à papa s’il te plaît ?

Je détourne la tête et aperçois une jolie fillette qui regarde son père avec des yeux implorants… Instinctivement je regarde ma montre : onze heures quarante ! Ah ! Les douceurs de l’enfance… Mais déjà le père et l’enfant se dirige vers le stand tant convoité.

 

 


 

L’aventure (Caroline)

Mon engin interstellaire file dans l’espace de notre galaxie …
Seul aux commandes de mon petit vaisseau spatial, je suis chargé d’une mission de la plus haute importance  : je dois négocier avec les autorités marsiennes l’implantation d’une base venant de la Terre afin de resserrer les liens d’amitié qui unissent nos deux peuples .

J’ai encore un peu de difficultés avec l’aspect des marsiens ;  ces petits êtres verts, leurs trois yeux doux et leurs cinq longs bras qui bougent en permanence.
La langue qu’ils parlent aussi ça n’a pas été facile ! … Des petits sifflements modulés par un assez joli petit bec qui change de couleurs selon leurs humeurs !
Leur générosité et leurs honnêteté sont sans faille, et les terriens , paisibles depuis la 89ème guerre mondiale, semblent s’être assagis durablement .
L’avenir est sur la bonne voie et bientôt des roses et des carottes pousseront dans les serres potagères …..
Plus de faim … plus de misère … Les peuples intergalactiques enfin unis grâce à moi ! … Mais qui arrive là ??

OH NON ! C’est Dark  Vador !

Clic clic. (Claquements de doigts)… Tu es encore dans la lune mon enfant !
Ma patience est à bout ! … Tu resteras ce soir en retenue pour faire le problème que tu n’as pas compris !


 

En descendant vers le Sud ( François)

 

Quelle merveille cette moto ! Depuis que je l’ai achetée il y a deux mois, je n’ai pas eu la possibilité de la tester sur un long trajet. J’ai dû me contenter des allers et retours quotidiens depuis la maison jusqu’à mon entreprise mais elle me comblait de bonheur. J’avoue que, déjà, j’en étais fier : grosse cylindrée, belle ligne. Mes amis m’en félicitaient avec, je crois, un peu de saine jalousie.

Mais depuis que j’ai quitté Paris hier soir, je peux apprécier la tenue de route et la puissance que vantaient les sites spécialisés sur internet et le vendeur de la concession.

Je ne me suis pas privé de quelques folies entre Paris et Clermont-Ferrand pour me faire plaisir et tromper l’ennui de ces interminables lignes droites où il faut lutter contre le sommeil.

Ma femme Camille me suit en conduisant le camping-car. Il a fallu que je la convainque de m’accorder ce moment de bonheur alors que nous aurions pu tracter mon bolide et faire le voyage tous les deux. Cela a été d’autant plus difficile pour elle que nous avons décidé de laisser les enfants à leurs grands-parents pour passer une semaine en amoureux à l’occasion de l’anniversaire de notre mariage, il y a maintenant quinze ans.

Elle reste derrière moi, par sécurité disait-elle avant de partir mais je crois surtout que cela la rassure.

Je sais qu’elle n’apprécie pas les quelques accélérations que je me suis permises. Après ces courts instants de fantaisie, j’ai ralenti de façon sensible pour qu’elle me rejoigne. A chaque fois, j’ai remarqué dans mes rétroviseurs les appels de phares désapprobateurs.

Il y avait dans tout cela une complicité amoureuse et je suis sûr qu’elle était heureuse pour moi. Je me reproche maintenant de ne pas avoir acheté l’appareil qui nous aurait permis de nous parler pendant notre périple.

 

A six heures du matin, l’escale près du pont de Millau nous a fait du bien à tous les deux.

Jusque-là, nos arrêts avaient pour seul but le plein d’essence de ma gourmande moto et, poussés par l’envie d’arriver au plus vite à Collioure, nous repartions après un rapide café chaud pris dans ces stations sans âme.

Cette fois, nous avons décidé de faire une vraie pause profitant des premiers rayons du soleil illuminant une magnifique pleine lune. Nous nous sommes allongés somnolant sur le lit de notre maison ambulante, serrés l’un contre l’autre. Le voyage anniversaire s’annonçait sous les meilleurs auspices.

 

Nous nous étions fixé de repartir à sept heures et nous nous y sommes tenus. J’avoue que j’étais plus enthousiaste que Camille à qui la perspective de reprendre le camping-car ne procurait qu’un plaisir limité.

Ma joie était d’autant plus intense que, connaissant cette route parcourue de nombreuses fois en direction de la Catalogne, je savais que nous allions aborder des passages de cols sinueux, traverser des paysages sublimes dans  le Larzac.

L’Aubrac est déjà loin. Il fait jour, le soleil apparaît distinctement sur ma gauche.

La route est un véritable enchantement. Je pense à tous ces villages que j’ai toujours souhaité connaître sans, malheureusement, prendre le temps de les visiter. Il faudra absolument revenir l’année prochaine, elle et moi, pour découvrir ces superbes endroits chargés d’histoire.

Leurs noms résonnent à mes oreilles comme des appels auxquels je suis resté sourd jusqu’à présent, Marvejols, Séverac-Le-Château, Saint-Guilhem-le-Désert, la Couvertoirade et bien d’autres encore.

Patientons ! Chaque chose en son temps. Et d’ailleurs, nos jeunes enfants accepteront-ils que nous nous autorisions une nouvelle escapade sans nous reprocher de les abandonner encore pour vivre nos plaisirs égoïstes ?

Décidément, ma bécane est vraiment géniale. « Elle ne demande qu’à partir », comme disait mon père en parlant de sa Citroën GS dernier cri. Je suis ébahi par la qualité de ses reprises et de sa tenue de route. Le freinage est efficace. Je suis porté par un sentiment de sécurité que, toutefois, je dois contenir pour ne pas commettre d’impairs. Petit à petit, je sens que je maîtrise de mieux en mieux ma machine dans toutes les conditions que m’offre cette partie du trajet, lignes droites, virages, montées, descentes, plats.

Je ne sens plus la fatigue. Les brumes matinales laissent lentement la place au soleil au fur et à mesure que monte la chaleur en provenance de la Méditerranée dont on s’approche.

 

J’attends avec impatience la descente vers Lodève. Elle est très pentue. Même en voiture, elle a toujours été, pour moi, un moment magique agrémentant un voyage long, parfois pénible, souvent ennuyeux

Je sais que tunnels et courbes vont se succéder. A droite, la vallée profonde, à gauche, un mur de pierre.

Plus que quelques kilomètres. Je suis comme un gamin à l’approche de la nuit de Noël, impatient, excité.

Camille doit être loin derrière moi, je l’attendrai sur une aire vers Clermont-L’Hérault, c’est ce dont nous sommes convenus. La pauvre, elle ne doit pas s’amuser, elle.

 

Le col n’est plus très éloigné. Bien que nous soyons en milieu de semaine, la circulation est assez dense. Les innombrables étrangers ont dû quitter leurs aires de repos où beaucoup ont pour habitude de passer la nuit. Je m’intéresse à leurs provenances en regardant chaque plaque d’immatriculation. La grande majorité vient de Belgique et des Pays-Bas. C’est à peine croyable, ils sont si nombreux que j’imagine ces pays vidés de toute leur population.

Les routiers ont également repris la route, des espagnols, des polonais ou encore lituaniens.

 

Enfin, j’y suis. Je vais pouvoir amorcer la descente.

Un petit coup d’accélérateur pour le plaisir mais je sais que je vais devoir être prudent d’autant que cette portion de route est jalonnée de radars avec parfois des limitations de vitesse très réduites.

Il faut ralentir. Un léger appui sur la pédale de frein.

Que se passe-t-il, le frein ? Il ne répond pas. J’essaie à nouveau. Oh non, la pédale est restée enfoncée !!

Il semble que le câble se soit cassé. Immédiatement, je suis pris de panique. Je roule à près de cent-vingt kilomètres/heure et je n’ai plus de frein à l’arrière.

J’essaie encore d’exercer quelques pressions pour voir s’il ne s’agit pas d’un simple blocage momentané. Non, rien à faire, elle reste immobile.

Je décélère mais le moteur reste figé au même régime. Je ne peux pas ralentir. La poignée est inopérante.

 

Eh gars, tu te calmes ! Il y a sûrement une solution, celle d’utiliser au mieux le frein avant avec doigté et précision.

Surtout, ne pas y aller trop brusquement pour éviter le dérapage qui serait catastrophique au milieu de toutes ces voitures.

Ma main droite serre la poignée doucement.

C’est pas vrai ! La poignée reste collée au guidon sans que la moto ait perdu de vitesse !!! La peur m’envahit en un éclair.

Il faut que je gère la situation tout en restant concentré sur la route. Je viens d’éviter de justesse une voiture qui a freiné à l’approche d’un radar. J’ai vu le flash, il est pour moi. Non seulement, ma moto est en panne sérieuse mais je risque de perdre mon permis de conduire. C’est l’enfer.

Attention ! Ouf, le camion est passé très près.

Avant toute chose, je dois tenter de faire comprendre que je ne maîtrise plus mon engin.

J’allume le warning et le phare avant.

L’effet est à l’inverse de ce que j’attendais.

Par leurs gestes de main, je comprends que quelques conducteurs me prennent pour un fou. D’autres témoignent de leur hostilité par des coups de klaxon ou des appels de phares.

Encore une voiture évitée. Je fais un signe de la tête pour m’excuser mais le conducteur me fait un bras d’honneur, il a dû croire que je me moquais de lui.

 

Il ne me reste plus que deux solutions qui ne s’excluent pas. La première consiste à zigzaguer, la seconde à baisser les rapports. C’est un risque que je dois prendre coûte que coûte. A plus de cent, passer de la sixième à la cinquième peut avoir des effets néfastes et définitifs mais je n’ai pas le choix à l’entrée du tunnel qui se profile.

J’y pénètre tous phares allumés. Les véhicules en face me renvoient des appels, ceux que je dépasse m’insultent à coups d’avertisseurs. Un véritable « sons et lumières » accompagne ma descente aux enfers.

Je décide de changer de vitesse dès la sortie de l’obscurité. Quelques instants qui me paraissent une éternité.

Enfin, la lumière du jour. Mon pied positionné sur la pédale appuie doucement.

Je vis l’horreur car rien ne se passe. Je n’ose croire à un sabotage mais une accumulation de tant de problèmes mécaniques sans aucun lien me fait envisager le pire. Je ne suis pas parano mais tout de même !

Un deuxième flash de radar atteste de mes excès. Mes points de permis en prennent un sacré coup. Si mes comptes sont bons, il ne m’en reste plus que deux.

J’entame alors ce qui me semble être la dernière solution, réaliser de francs zigzags.

Si jusqu’à présent, je suis passé pour un fou, maintenant les passagers des véhicules dépassés et croisés doivent me qualifier de dément.

J’abandonne rapidement cette dernière stratégie car elle est trop dangereuse pour moi comme pour les autres.

Bon sang, comment n’y ai-je pas pensé avant ? Il suffit de couper l’alimentation en essence en actionnant le petit levier sur la droite du moteur. Je tâtonne en essayant de ne pas me brûler. Je ne dois pas non plus quitter la route des yeux bien que je sois penché à la recherche de la manette. Super, je l’ai trouvée. C’est insensé, elle non plus ne veut rien savoir, je n’arrive pas à la basculer à l’horizontale. Maintenant, j’en suis certain, cette moto a été trafiquée pour me tuer. Dire que j’ai fait le plein très récemment !!! Quel manque de chance, je vais devoir continuer jusqu’à la panne de carburant.

 

Et se produit ce qui devait arriver, j’aperçois dans mes rétroviseurs les gyrophares d’une voiture de gendarmerie qui me poursuit toutes sirènes hurlantes.

Je prends vite conscience que c’est probablement ce qui pouvait m’être le plus salutaire.

Mon compteur indique que je roule à cent-trente kilomètres/heure. C’est invraisemblable sur un tel tronçon.

Je commence à subir les effets des efforts que je consens depuis plus de dix minutes. Mes bras sont douloureux.

Le véhicule de la sécurité routière arrive à ma hauteur. Par un signe de la main autoritaire, le copilote m’ordonne de m’arrêter et de me garer sur la bande d’arrêt d’urgence.

Je crains pour ma vie. Si je n’obtempère pas, compte tenu des nombreuses infractions commises et des déductions qu’il serait en droit d’en tirer, il pourrait dégainer son arme.

J’ai peur. Je pense à ma femme et mes enfants.

Par des gestes maladroits de mes mains et de mes pieds, je tente de lui faire comprendre que plus rien ne fonctionne. Il est intrigué et, par un mouvement de la tête, il semble me demander d’expliquer la nature du problème.

Je presse la pédale du frein arrière pour lui indiquer qu’il a cédé. Avec ma main gauche, je lui désigne le levier de vitesse et la poignée de frein avant.

Il esquisse un clin d’oeil bienveillant et lève son pouce. Dieu merci, il a compris.

Nous dévalons à toute allure mais, grâce aux sirènes, les voitures des vacanciers se décalent pour nous laisser le passage. Nous parvenons à nous faufiler.

Les gendarmes passent alors devant moi comme pour m’escorter. Ils tendent leurs bras à travers les vitres pour faire comprendre aux usagers qu’ils doivent s’écarter.

Je me détends un peu malgré l’angoisse. Au moins, je ne suis plus seul.

Comment tout cela va-t-il finir ?

Tout à coup, un nouveau bruit inconnu parvient à mes oreilles. Fixé sur la route qui défile à toute allure, je ne saisis pas d’où cela peut provenir.

Ca y est ! Je lève les yeux et vois un hélicoptère qui nous survole.

Mon Dieu, quelle aventure !! Si je m’en sors, le jour où je raconterai tout cela, je passerai immanquablement pour un mythomane.

 

Nous sommes parvenus à la zone plate après Lodève et, là, j’assiste à un spectacle invraisemblable. Toutes les voitures sont arrêtées sur le bas-côté.

Sur l’autoroute, ne restent que les gendarmes et moi. Au-dessus, l’hélicoptère.

Nous roulons, il vole.

Nous approchons ensemble de Clermont-L’Hérault où habitent ma sœur et mon beau-frère. Peuvent-ils imaginer que toute une armée est concentrée sur mon sauvetage juste à côté de chez eux ?

Tout à coup, quelque chose attire mon regard. Devant moi, j’aperçois, à quelques centaines de mètres, une immense barrière dressée en travers de l’autoroute.

Yesssss !!! Ils ont dressé un filet pour me stopper ! Des lumières bleues scintillent de toutes parts. Ils m’ont vraiment bien pris en charge.

Sans aucune échappatoire possible, soumis et résigné, je me précipite dans les cordages qui s’étendent comme des élastiques. Ils ne cèdent pas.

Ma moto se couche. Des étincelles jaillissent de toutes parts. Elle s’immobilise enfin.

 

Je suis allongé sur le sol, bien vivant, apparemment sans blessure et je me laisse aller à fermer les paupières pour retrouver enfin un peu de sérénité après cette incroyable et  éprouvante aventure.

Une voix me sort de ma torpeur :

-Hou, hou, ça va ?

J’entrouvre un œil et vois Camille qui me fixe inquiète mais souriante. J’ai l’impression que seules quelques secondes se sont écoulées depuis ma chute. Comment a-t-elle fait pour arriver si vite ? Dans mon semi-coma, je l’imaginais encore bloquée, plus haut, au milieu des autres voitures que les gendarmes ont arrêtées.

– Et ben dis donc, toi, tu as dû faire un sacré cauchemar. Rends-toi compte, tu es en nage. Cela fait au moins un quart d’heure que tu t’agites dans le lit. Allez, maintenant, il faut qu’on se lève, une longue route nous attend. Nous nous sommes promis de manger des fruits de mer à Collioure en début d’après-midi pour fêter notre anniversaire de mariage avant d’aller nous recueillir sur la tombe d’Antonio Machado. Tu sais que j’y tiens. Debout, paresseux.

En un éclair, la conscience me revient et, sur notre lit, je la serre dans mes bras avec tout mon amour. Elle sourit.

-Ne t’inquiète pas Chérie, j’arrive, nous serons à Collioure comme prévu.

Tout à l’heure, je conduirai notre camping-car avec ma femme à mes côtés. Nous serons heureux de faire ensemble ce long voyage vers la Catalogne.

 

Je n’ai jamais eu de moto mais je ne désespère pas. Un jour, peut-être !!!