Un jour étrange de juillet

juil 2015 -
Si les mots avaient des ailes

Par Christine D.

C’est un bel après-midi de juillet. Après le pique-nique les adultes somnolent sous le grand saule pleureur. Les enfants jouent aux ricochets, disons plutôt Paul joue, Juliette sa cousine le regarde avec envie. Elle aussi voudrait lancer des cailloux dans l’eau, mais ce matin malgré les conseils de Grand-mère elle n’en a fait qu’à sa tête, elle a mis sa jolie robe, celle que parrain lui a offert. Alors elle a promis de ne pas la salir, et vous savez bien avec les adultes il faut toujours tenir ses promesses !

Pour les poissons aussi, c’est la fête. Aucun pêcheur ! Au fond de l’eau ils jouent à saute-mouton, laissant échapper leurs bulles avec insouciance.

Aujourd’hui Juliette a décidé d’explorer l’appentis qui est à côté de la cuisine.   La porte est toujours fermée à clé, il y a forcément quelque chose de cacher, sinon pourquoi est-elle close ? Mais elle a quand même un peu peur d’y aller seule, il faut que Paul l’accompagne.

-« Oui, oui, j’arrive, encore un », rechigne Paul une poignée de caillou dans la main

« Et il le lançe de toutes ses forces mais le troisième caillou revient en ricochant » et finit sa course aux pieds de Juliette.

Etonnée la fillette baisse son regard sur le caillou et découvre une grande bouche dessinée. Le caillou remue sur le sol, comme s’il sautillait d’un pied sur l’autre et la bouche murmure quelques mots à Juliette. Au même moment le tonnerre gronde au loin.

-« Les enfants, venez vite, il va pleuvoir ! »

Le ciel s’obscurcit brusquement et la pluie se mit à tomber avec violence.

Effrayée par ce caillou magique et la violence de l’orage, Juliette rejoint Paul en courant. Ils arrivent ruisselant dans la cuisine où Grand-mère les attend avec des grandes serviettes. Haletante d’avoir couru si vite, elle raconte à Paul ce qu’elle a vu. Celui-ci se moque gentiment de sa cousine, un caillou avec une bouche impossible !

Assis devant un bol de chocolat chaud, les enfants s’interrogent sur le caillou, et leur imagination vagabonde. Les mots murmurés par la bouche sont sûrement un indice. Mais y a-t-il un lien avec le mystère de la porte fermée ? Paul se voit déjà en grand explorateur.

« Son cœur bat très fort, il est certain d’avoir vu le bouton de la porte tourner »

Les yeux écarquillés de stupéfaction, Paul chuchote à Juliette de le suivre. La porte est entre-ouverte. Heureusement Grand-mère est occupée, elle ne les voit pas s’éloigner.

La porte s’ouvre sur un escalier et en contre bas sur une pièce sombre.

Les enfants surpris, mais curieux s’avancent avec prudence.

Une petite voix les interpelle :

« Venez, n’ayez pas peur, je vous attends » leurs yeux habitués à l’obscurité distinguent, au pied de l’escalier, le caillou à la bouche.

Craintifs, mais comme hypnotisés par le caillou Paul et Juliette, serrés l’un contre l’autre descendent une par une les marches.

Là, dans cette pièce sombre à peine éclairée par un soupirail donnant au ras du jardin, un bric à brac de vieilles choses soigneusement rangées : des vieux journaux, un tapis soigneusement roulé, une étagère contenant des pots de fleurs, de peintures dont la couleur parait aujourd’hui démodée, une corde à sauter, un patin à glace suspendu à une poutre. Tous ces objets attendent sagement que…la porte s’ouvre.

Ecrasés par le silence de la pièce, les enfants sont impressionnés et restent immobiles. Dans un crissement effrayant, la porte se referme derrière eux.

Et dans un même élan tous les objets s’agitent et chacun raconte son histoire dans un brouhaha infernal. Les enfants sont terrifiés par cette agitation mais leur curiosité est plus forte, alors…

-« Silence ! s’écrit Paul, autoritaire. Chacun son tour ! »

A ces mots les objets se figent immédiatement, puis se regardent les uns, les autres cherchant l’approbation de leur voisin, et dans un même mouvement se tourne vers l’escalier.

-« Nous vous écoutons, reprend Juliette, mais parlez doucement, Grand-mère peut nous entendre et on nous a interdit de venir ici. »

Alors le balai, caché derrière la porte, en haut de l’escalier, prend la parole.

-« Je suis heureux de vous voir, et mes amis aussi. On nous a relégués dans cette cave depuis longtemps. Pour les gens de cette maison nous ne valons plus rien. Ils nous ont oublié, nous avons aussi une histoire.

-Moi, dis le patin à glace du haut de son perchoir, avec mon frère jumeau nous étions des champions. Comme elle nous a aimé la jeune fille de la maison, maintenant elle ne me regarde même plus. Regardez comme ma lame est effilochée et terne. Autrefois elle était bien aiguisée et si fine, elle glissait sur la glace. Que de saut, boucle piquée, salchow, lutz, axel ! Et tous ces concours gagnés ! C’est bien grâce à nous qu’elle avait autant de soupirant ! Mais j’ai oublié son prénom, c’est…..

-je servais pour laver les jolies brassières, dis la cuvette

– et ma couleur, elle ne vous plait pas, dit la peinture du fond de son sceau

Et dans un joyeux méli-mélo, à chacun de raconter une anecdote, une histoire.

Un énorme bâillement retenti, venant du coin sombre : le tapis s’étire, laissant échapper un gros nuage de poussière.

-« Que de bruit ! Que se passe-t-il !

Avec un regard de dédain pour le tapis, le paquet de journaux, fier de ses bretelles en grosse ficelle prend la parole à son tour :

-« Moi, je suis le garant des évènements et faits divers passés, et encore tout n’est pas écrit ! Ecoutez, plutôt ce qu’a à vous raconter mon amie la TSF.

– Oh, c’est si loin tout ça, dis la vieille dame d’une voix chevrotante. Et bien mes enfants, à l’époque j’étais très importante dans cette maison, bien qu’on m’ait cachée dans le confiturier au fond de cette cave. Le soir, toujours à la même heure, on tournait mon bouton et je récitais des vers et des phrases. Je les répétais toujours deux fois, pour être sûre d’avoir été bien comprise. Cela vous parait stupide les enfants, mais si vous saviez comme j’étais attendu. J’en ai vu du passage dans cette cave. Je crois que j’y étais un peu pour quelque chose, des hommes, jeunes le plus souvent, avec un drôle d’accent débarquaient ici la nuit pour prendre un peu de repos avant de repartir par cette petite porte cochère que vous voyez là.

Une larme coule le long de la radio, toute émue qui se tourne alors vers la petite porte. Les enfants ne l’avaient pas remarqué tant elle est basse et étroite, il faut se mettre à quatre pattes pour passer, alors un adulte !

– Mais de qui parles-tu ? l’interrompit Juliette.

– Et bien des hommes de l’ombre, la résistance.  Ils repartaient accomplir leur mission, cette porte vois-tu donnait sur un souterrain menant dans la montagne.

Paul se voit déjà, lampe sur le front, dans le souterrain à la recherche d’un trésor de guerre oublié. Devant le regard rêveur du garçon, la radio s’empresse d’ajouter :

– Un soir à la fin de la guerre, la montagne a grondée si fort qu’un éboulis a bouché le souterrain. Alors maintenant c’est la cave à vin.

Devant l’incompréhension des deux enfants, la vieille radio réalise que le vieil homme, là-haut somnolant dans son fauteuil n’a jamais raconté à sa famille les exploits que lui et ses amis avaient accomplis dans la région pendant la guerre. Alors elle se mit à parler, parler sans plus pouvoir s’arrêter et dans le cœur des enfants grandit un sentiment de fierté et une profonde admiration pour ce grand-père que leurs parents traitent gentiment de vieux grincheux.

 

                                                                                                   Christine D.

Les textes appartiennent à leurs auteurs. Toute reproduction est interdite