JULIEN, GARE DE VERSAILLES

août 2015 -
Si les mots avaient des ailes

Par Martine Ponthieu

Dix-huit heures vingt : Julien attend patiemment son train sur le quai de la gare.

Soudain une voix monocorde retentit dans le haut-parleur :

– A l’attention des voyageurs : le T.E.R. en provenance de Chartres entrera en gare à dix-huit heures trente sur le quai E et non pas sur le quai B comme prévu.

Julien s’élance aussitôt vers le quai E grossissant la cohue des usagers pressés.

Puis quelques secondes plus tard la voix monocorde reprend :

– Mesdames, Messieurs. Le T.E.R. en provenance de Chartres arrivera finalement sur le quai B comme initialement prévu. Merci de ne pas traverser les voies.

Foulant à peine le macadam du quai E après avoir participé à la bousculade générale, Julien s’envole de nouveau vers le quai B alors que sur le quai G les patins de freins du T.G.V. Paris-Normandie entrant en gare gémissent douloureusement.

– Je suis en plein délire. Je vais finir par manquer mon train.

En levant les yeux, son regard est attiré par un panneau publicitaire qui vante la qualité de la S.N.C.F. Devant lui, sur l’affiche il distingue deux usagers : l’un prêt à descendre nonchalamment d’un wagon alors que l’autre s’avance sereinement vers une voie où est arrêté un convoi. Comme c’est étrange ! Il le reconnaît ce deuxième homme : c’est lui ! Il porte le même blouson marron et tient dans l’une de ses mains le « 20 mn », tout comme lui.

– Vais-je l’attraper ? Il ne faut pas que je le manque.

Instinctivement Julien se met à courir imitant ainsi le flot des usagers qui l’entoure. « Vais-je l’avoir ce satané train ? ».

Soudain une bousculade gigantesque le happe. Les passagers piétinent fébrilement les marches d’un quai à l’autre, écrasant le bitume de leurs souliers impatients et ne sachant plus où donner de la tête. Brusquement Julien s’assied sur la dernière marche de la passerelle entre les quais dans l’indifférence générale sauf celle du haut-parleur qui continue à distiller ses indications:

– Mesdames, Messieurs. Pour information, le T.E.R. en provenance de Dreux entrera en gare à dix-huit heures quarante cinq sur le quai C pour ceux d’entre vous qui n’auront pas le temps de monter dans le T.E.R. de Chartres annoncé sur le quai B.

Soudain écrasé de fatigue, le cerveau en jachère, Julien ne cherche plus à comprendre la situation : marre d’être en perdition entre le quai B et le quai E avec le vacarme du T.G.V. sur le quai G. et la prochaine arrivée du T.E.R. de Dreux sur le quai C.

Son regard s’évade vers l’affiche publicitaire. Le premier homme est arrivé sur la dernière marche alors que lui, continue sa déambulation vers le convoi, son « 20 mn » à la main.

– Bon y a-t-il une place assise ?

Libéré de son stress, il se sent apaisé loin de cette foule en délire qui s’essaime autour de lui pour attraper son T.E.R. sur le quai B.

A dix-huit heures trente tapantes, le T.E.R. de Chartres, rugissant, entre en gare. Mais que fait-il ? Est-il devenu fou ? Il ne s’arrête pas ! Furibond, le convoi continue sa course vers Paris-Montparnasse au grand dam des usagers revenus sur le quai B qui le regardent passer médusés. Les autres toujours en transit entre le quai E le quai B sont figés sur place, pétrifiés de stupeur.

Dans son doux cocon, Julien assiste à cette situation saugrenue. S’il avait été concerné il aurait crispé les mâchoires pour ne pas hurler sa colère. Mais ce n’est pas le cas puisqu’il s’apprête à grimper dans le convoi stationné à quai depuis quelques instants. Que c’est drôle ! Un panneau lumineux près du premier wagon indique qu’il est sur la voie B… L’autre homme, quant à lui, est pratiquement descendu du train.

Soudain il sursaute. Une voix désagréable s’adresse cavalièrement à lui. :

– Vous ne pourriez pas vous asseoir ailleurs, vous gênez tout le monde ici. Le mic-mac du T.E.R. de Chartres entre le quai B et le quai E qui pour finir ne s’est pas arrêté ne semble pas vous perturber.

Hein ! Qu’est-ce qu’il dit ? Ah oui le T.E.R. de Chartres, il faut qu’il grimpe dedans pour rentrer chez lui. Pourtant il lui semblait être déjà installé dans le premier wagon…

Il tourne le regard vers le quai B où le T.E.R. de Chartres fuit la Cité Royale à toute allure en direction de la capitale. Le T.G.V. Paris-Normandie, quant à lui, a quitté le quai G pour emmener ses passagers vers Le Havre.

La voix monocorde reprend son annonce :

– Mesdames, Messieurs. Le T.E.R. de Dreux prévu à dix-huit heures quarante cinq sur le quai C aura un retard non estimé pour l’instant suite à une avarie sur les voies à hauteur de Plaisir-Grignon. Concernant le T.E.R. de Chartres qui n’a pas marqué son arrêt, nous vous invitons à rejoindre le parvis de la gare où des autocars de substitution vous conduiront vers Paris-Montparnasse.

Toujours assis sur la marche, Julien se demande : « Quand va-t-il démarrer ce satané train, il est plus que l’heure, je vais finir par manquer ma correspondance ».

Mais au même moment la horde humaine se précipite cette fois-ci vers le hall de la gare en l’engloutissant dans ses entrailles.

Involontairement entraîné, Julien frôle le panneau publicitaire. Il se reconnaît là, sur le papier glacé et dit :

– Demain je prendrai le R.E.R. à Saint Rémy-les-Chevreuse ça ne pourra pas être pire. Tu es d’accord ?

 Martine Ponthieu

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